Erwan Gramand a commencé à boire à 18 ans. Pour faire la fête ! Mais peu à peu, il glisse dans l’enfer de l’alcoolisme. Mensonge, disputes, tristesse, agressivité… la bouteille détruit sa vie privée et professionnelle. Jusqu’au déclic. Depuis 20 mois, Erwan est abstinent. Pour se reconstruire, il raconte son histoire dans un livre : « Un détour par l’enfer » ed. Lemart. Il a accepté de témoigner.
J’ai grandi avec l’alcool. Le premier mari de ma mère a été tué par un chauffard ivre. Mon grand-père est décédé d’une cirrhose. Ma mère était elle-même alcoolique. Mes parents ont divorcé lorsque j’avais 15 ans. J’ai vécu seul avec maman et j’ai vu à quel point l’alcool était destructeur. Avec un tel passif, j’aurais pu le rejeter et pourtant j’ai reproduit le schéma.
Ce soir tu as 18 ans, tu boiras 18 verres de vin
Je n’ai pas touché une goutte d’alcool jusqu’à mes 18 ans. Mais le jour de mon anniversaire, l’un de mes amis m’a lancé : « Ce soir tu as 18 ans, tu boiras 18 verres de vin ! » Cette soirée a marqué le début de 25 ans d’enfer ! Lors de mes études supérieures, comme tous les étudiants, je faisais la tournée des soirées open bar avec alcool à volonté ! J’étais saoul tous les vendredis soir et tous les samedis soir. J’étais timide et l’alcool m’aidait à m’amuser. Avec mes amis, nous étions adeptes du binje drinking. J’arrivais tôt, pour être totalement ivre vers 23h00. Téquila, Whisky, vodka ! Tout y passait. J’étais aussi devenu un pro de la bière au mètre. Un mètre de bière à boire le plus vite possible ! J’ai fais mon premier coma éthylique à 19 ans.
Aux Antilles, j’ai découvert mon premier grand amour : le rhum
Je suis ensuite parti faire un stage aux Antilles. J’ai alors découvert mon premier grand amour : le rhum. Je le buvais comme de l’eau, tout le temps ! Le plus souvent pur. Au bout de 6 mois, je suis rentré en France et j’ai commencé à travailler. Chaque midi avec les collègues, nous buvions du vin ou du pastis. Puis je me suis aussi mis à boire seul le soir. Au début ce n’était qu’un verre puis 2, puis 3, puis la bouteille… L’été de mes 23 ans, j’ai eu un accident de voiture. J’ai démarré la soirée avec un copain … ce qui s’est passé ensuite, je n’en sais rien. Lorsque je me suis réveillé, la voiture était dans un pylône. Après cet accident, je me suis juré de ne plus conduire en état d’ivresse ! Mais à aucun moment, je ne me suis dis que je devais arrêter de boire. J’étais jeune, je faisais la fête, c’était normal !
J’ai réalisé que j’étais alcoolique en allant vivre une semaine chez un ami
Deux ans plus tard, j’ai trouvé un poste à Paris. Le temps de trouver un logement, j’ai été hébergé chez le frère de ma petite amie. Et là, je n’avais plus la main sur l’alcool. J’ai passé la pire semaine de ma vie. Je marchais dans les rues en regardant les vitrines des cavistes. Je salivais devant les bouteilles. J’essayais d’avancer les apéros. J’ai alors réalisé que j’étais devenu dépendant.
A la naissance de mon fils, je me suis mis à boire de plus en plus
Au bout de quelques années, j’ai rencontré ma femme. Ensemble, nous aimions prendre des verres dans les bars ou les restaurants. Mais à aucun moment, elle n’a réalisé que j’étais alcoolique. Pour elle, j’étais juste un bon vivant. Mais lorsque nous nous sommés installés ensemble, je ne pouvais plus prendre d’apéritifs tous les jours. Pour compenser, je sortais boire des bières à l’heure du déjeuner. Puis elle est tombée enceinte. Je lui avais promis de l’accompagner dans la sobriété. J’ai tenu deux jours ! Pendant la grossesse, j’étais de plus en plus souvent nerveux et irritable et nous nous disputions beaucoup. La première année, mon fils était souvent malade. Nous ne dormions plus. Je buvais de plus en plus. Je ne pensais plus qu’à cela. Un soir de 2012, mon fils avait un an, et pleurait dans son lit. Je me suis énervé contre lui. Je criais des insultes. Mais très vite, j’ai réalisé que je ne pouvais pas avoir ce comportement avec un bébé d’un an. J’ai compris à ce moment là que l’alcool était à l’origine de tous mes problèmes. J’ai décidé de consulter.
La famille n’a pas conscience que l’alcoolisme est une maladie
Je suis allé voir mon généraliste qui a été très à l’écoute et m’a recommandé un addictologue.
J’étais persuadé que ce ne serait qu’un break et que je serai capable d’avoir une consommation modérée. Ma femme aussi le pensait. Malheureusement, la famille n’a souvent pas conscience que l’alcoolisme est une maladie. J’ai tenu 6 mois. Mais lors de vacances dans le sud, d’un commun accord, j’ai repris un cocktail. L’addictologue m’avait mis en garde contre une rechute et m’avait donné quelques conseils pour éviter de replonger :
- ne pas remettre de la régularité dans ma consommation. Eviter le vendredi c’est permis !
- ne pas mettre les pieds dans le rayon alcool du supermarché
- éviter les lieux que j’ai trop fréquentés
- ne retoucher ni à la bière ni au rhum, les deux alcools qui m’avaient rendus dépendant.
Le mensonge fait partie de la vie d’un alcoolique
J’ai réussi à respecter cela pendant 2 ans et demi. Nous avons alors vécu deux belles années. Mais j’ai commencé à enfreindre une des règles : ne plus boire de bière. Puis j’ai enfreint une autre règle : ne pas boire de rhum. Tout a alors recommencé en pire. Pendant 5 ans, je me suis remis à boire en cachette dans la rue. Je mentais tout le temps. Le mensonge fait partie de la vie d’un alcoolique. J’avais organisé la cave pour pouvoir y descendre et m’alcooliser très vite. Au bureau, je m’absentais de plus en plus souvent pour aller boire des bières. Je prenais beaucoup de café pour cacher mon haleine.
J’avais besoin de quitter cette vie stressante et oppressante qui me poussait à boire
Nous avions eu un deuxième enfant mais notre vie de couple était un marasme. Je ne trouvais plus ma place au sein de la famille et je m’isolais. J’ai senti alors que j’arrivais à un point de bascule. Je ne voulais pas que mes enfants me voient sombrer comme j’avais vu sombrer ma mère. J’ai décidé de partir et de demander le divorce. Pour arrêter, j’avais besoin de me retrouver seul et de quitter cette vie stressante et oppressante qui me poussait à boire.
Je suis abstinent depuis 20 mois et je suis zen
La première semaine a été difficile. J’avais des angoisses qui me serraient la cage thoracique. Pendant deux mois, je rêvais chaque nuit de beuverie. Je suis passé par une phase d’euphorie mais elle est retombée au bout de 3 mois. Je continuais à être nerveux et grognon. Pendant cette période, j’ai écris mon livre. Il a été ma thérapie. Mais ce n’est qu’au bout de 15 mois que la nervosité s’est estompée. Aujourd’hui, je suis zen. Je suis abstinent depuis 20 mois. J’ai retrouvé des liens avec mes enfants. Je suis présent pour eux. Et surtout, nous avons décidé d’annuler la procédure de divorce.
Vous voulez en savoir plus sur le témoignage d’Erwan Gramand ? Lisez son livre : Un détour par l’enfer ed. Lemart
Les conseils d’Erwan
Il faut lever le tabou sociétal et parler de la maladie
Je recommande aux parents de ne pas banaliser l’alcool. Si votre adolescent rentre deux fois par semaine complètement ivre, il faut lui parler des dangers de l’alcool et des risques à court et long terme. Il faut lever le tabou sociétal et parler de la maladie. Car c’est bien une maladie. Non, on ne peut pas arrêter par la simple force de la volonté. Si on a le moindre doute, il ne faut pas hésiter à aller voir un addictologue. Si vous avez peur de parler à quelqu’un de votre ville ou région, la téléconférence, permet désormais de prendre rendez-vous avec un spécialiste n’importe où en France. Faires-vous aider et n’ayez pas honte. Je le redis. C’est une maladie.
Propos recueillis par Valérie François / CIDJ / février 2021
1 commentaire
Yves BELIARD
Un autre regard sur l’addiction
J’étais le compagnon aimant et aidant de la femme malade de l’alcool qui partageais ma vie
Dès que j’ai pris conscience de ses consommations cachées, j’ai incité ma femme à se soigner
j’ai soutenu accompagné et orienté ma femme dans son combat contre la maladie.
J’aurais pu être un partenaire plus efficace de son parcours de soin si les responsabilités médicales des structures qui ont pris en charge ne m’avais pas systématiquement tenu à l’écart .
Il est important d’obtenir la mise en œuvre d’une offre de soins et de service pour l’entourage (famille, enfants ,parents, conjoint, et proches) dans les parcours de soins complexes en addictologie..
L’entourage accompagné et aidé pour être aidant est un acteur essentiel pour la réussite et la continuité des parcours de soins.
l’absence de dialogue entre l’entourage et les soignants entretient l’insécurité de nos parcours de vie.
Et pourtant nous les proches nous avons tous entendu de la part des professionnels cette injonction :
protégez vous protégez vos enfants
mon témoignage est à votre disposition.