Si j’ai commencé tôt, vers 14 ans, c’était un verre de temps en temps, en famille et avec les copains. Sauf que j’aimais ça ! J’aimais l’ivresse que l’alcool me procurait. Ça me rendait heureux.
Ensuite, au lycée, ça s’est compliqué un peu. Je recherchais le shoot, être déconnecté de la vie, de moi. Je cherchais à m’échapper. Peut-être d’un malaise, d’un mal-être, d’une souffrance que je ressentais, d’où la recherche d’une délivrance. L’alcool me permettait plus que l’ivresse : le voyage dans un autre corps, dans un autre esprit. Il y avait comme une pompe à vide en moi qui m’aspirait. Il fallait que je remplisse. Un peu émotif, un peu sensible, je régulais mes émotions avec l’alcool.
Après, c’était la solitude. C’est passé de la convivialité à la boisson en solitaire, au moment du bac. J’achetais des bouteilles pour boire seul. Je me nourrissais de ces gorgées de whisky, gin ou vodka. La gorge brûlait, le corps chauffait, l’esprit s’envolait et je me rassasiais de cet alcool.
En fac, c’était pour moi une nourriture, de l’oxygène. C’était mon carburant. Donc, comme par hasard, j’ai choisi barman en job d’étudiant. L’alcool facilement accessible. Le soir, au lieu de me brosser les dents, trois bonnes gorgées pour dormir. Ca calmait une sorte de spleen, du stress et des angoisses.
De 20 à 25 ans, c’est allé très vite. Je buvais de plus en plus et tous les jours. Il ne fallait rien me dire. Susceptible et égocentrique. Fier, imbu de ma personne.
J’ai commencé à trouver ça pas normal quand je me suis mis à stocker. Stocker mon alcool, chez moi, dans la cave, sous le siège de ma voiture, dans mon bureau. J’ai eu plusieurs accidents et j’ai cassé plusieurs voitures. J’ai eu beaucoup d’amis et plus d’amis du tout. J’ai eu une jolie femme et des relations détestables avec elle. J’ai fait des super affaires (chef d’entreprise) et j’ai fait aussi des affaires catastrophiques et dramatiques au point de mettre l’entreprise en péril. Et tout ce qui m’arrivait, ce n’était pas ma faute, bien sûr.
J’ai fait ma descente aux enfers. Je m’abrutissais tous les soirs de manière compulsive, à vouloir en crever, tellement j’étais à la fois angoissé et dans la culpabilité. Angoissé quand j’étais en manque et dans la culpabilité parce que je faisais des dégâts. Me remplir coûte que coûte (un ami me disait goutte que goutte).
J’étais très loin de mon adolescence, de mon désir d’ivresse. Je travaillais un peu le matin, vaseux et j’attendais midi avec impatience, pour me remplir. Remplir le vide qu’il y avait en moi. Je ne devais pas être très efficace. Etant patron, personne ne me disait rien.
Çà a duré trois ans, de 30 à 33 ans. De temps en temps, je vidais mes bouteilles dans l’évier pour refaire mes stocks juste après. Irrationnel. Je jurais de ne plus boire, et je me rendais malade et minable quand même après. Tous les matins, je vomissais mon alcool, et mon tabac, par la bouche, par le nez, par les yeux. Je pleurais mon alcool. J’avais le visage en peau d’orange, une haleine de cow-boy, l’esprit embrumé, la gueule de bois. Mal à la tête. Tous les jours.
J’étais un clochard. Pas encore sous les ponts, mais clochard dans mon corps et dans ma tête. Bilan ? Au niveau de l’amour, je me détestais : pas beau, ni dans mon corps, ni dans mon esprit. Malhonnête : incapable d’avoir une relation honnête avec ma femme. Au niveau social, j’étais seul, horriblement seul, incapable de partager, d’être dans l’empathie. Peur : de manquer, d’être mal, plus mal encore, de mourir, de ne pas mourir… Egoïste, menteur, minable, égocentrique, susceptible… Je bois peut-être… Un peu trop… De temps en temps….. C’est ce que j’ai dit une fois à un médecin. J’étais conscient parfois. Conscient mais incapable d’arrêter. Incapable de réduire. Chaque matin, je culpabilisais à mort et promettais d’arrêter tout ça. Chaque midi, je soignais le mal de crâne et mon malaise par une rechute.
J’ai rechuté, tous les midis, pendant trois ans. Le peu de conscience que j’avais m’ordonnait de fuir cet enfer. J’ai bradé mon entreprise, déménagé loin pour fuir dans l’unique souhait de m’en sortir. Cela ne m’a pas empêché de rechuter allègrement. Un verre et hop, la machine infernale repartait. Je ne buvais pas pendant quelques jours et rechute à nouveau. Ma femme a fait un film de ma dernière cuite et j’ai pris conscience que c’était moi sur le film. Atterré.
Mon père m’a présenté un médecin qui connaissait les AA. Ce médecin m’a dit qu’il ne pouvait rien faire pour moi à part me donner un numéro de téléphone. J’étais le seul à pouvoir faire quelque chose, avec l’aide d’autres personnes qui avaient connu ce même problème (et qui s’en sortaient).
J’y suis allé, à ma première réunion d’Alcooliques anonymes. Ils n’étaient pas bourrés, plutôt pas trop mal dans leurs pompes. Certains rigolaient même. Incroyable, moi qui était si malheureux, dans un tel désarroi. Je cherchais des solutions pour éviter la gueule de bois.
Là, j’ai appris à ne pas boire le premier verre, à vivre un jour a la fois, à accepter les choses que je ne pouvais pas changer, agir positivement pour moi et mon entourage, être honnête avec moi-même,… et bien d’autres choses encore.
De ce jour-là, 1er juillet 1996, je n’ai plus bu une goutte d’alcool ! J’ai rapidement compris que le programme (en 12 étapes) était miraculeux pour moi. J’ai capitulé devant l’alcool en ne prenant pas le premier verre, J’ai pris conscience de l’existence des autres, moi qui les ignoraient, j’ai pris conscience qu’on pouvait se référer à un autre, j’ai pris conscience du bienfait de l’honnêteté, de la nécessité de mieux me connaître. J’ai partagé ça avec les autres, avec ma conscience, j’ai appris à pardonner aux autres et à moi-même. J’ai appris l’humilité, l’amour (je ne savais pas, en fait, ce que c’était), j’ai appris à assumer mon passé, mes actes passés et aussi quotidiens, plutôt que de les fuir. J’ai appris à agir, à aider les autres.
En aidant les autres, on s’aide soi-même. je me suis reconstruit. Grâce à ce programme, grâce à cette entraide, à ces partages en réunion. Ce que je n’arrivais pas à faire seul. Et même après presque 20 ans d’abstinence, j’éprouve toujours le besoin de revenir en réunion, de partager ces anciennes angoisses et ce rétablissement.
Je souffre encore, de temps en temps, mais je souffre de moins en moins souvent et ma douleur est de moins en moins forte. Il m’arrive maintenant d’éprouver de saines émotions et de les vivre pleinement avec mes quelques amis et ma famille. Si j’ai encore envie de boire parfois ? Oui, mais ça s’évapore aussitôt.
Source : www.alcooliques-anonymes.fr
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